mercredi 16 mars 2016

Sunita Magar montre son passeport le 25 janvier 2016 à Dhadhing au Népal de retour de Syrie



Sunita Magar pensait avoir quitté son village au Népal pour un emploi sûr au Koweit, mais ce n'est qu'à l'atterrissage à Damas qu'elle a réalisé que "quelque chose avait très mal tourné".
Battue et ne recevant qu'un repas par jour, Magar raconte avoir passé 13 mois comme domestique dans un foyer syrien.
"J'étais en état de choc, je ne pouvais m'arrêter de pleurer", dit cette mère célibataire de deux enfants à l'AFP.
Magar est l'une de ces nombreuses femmes pauvres du Népal et duBangladesh parties au Moyen-Orient avec la promesse d'un emploi rémunérateur et qui se sont retrouvées en Syrie, prises au piège des trafiquants dans un pays en guerre.
Le chef de la représentation diplomatique du Népal au Moyen-Orient, basée au Caire, explique que les émigrés des Philippines et d'Indonésie - autres grands pays d'émigration de travail - ont cessé de travailler en Syrie en raison du danger: alors depuis deux ou trois ans, "les trafiquants ciblent les Népalais", dit Kaushal Kishor Ray.
"Nous estimons qu'il y a environ 500 Népalaises en Syrie, leur nombre a fortement augmenté au cours des dernières années", déclare Ray à l'AFP.
Au Bangladesh, depuis son lit d'hôpital à Dacca, Shahinoor Begum tente de reprendre pied après ses sept mois de cauchemar comme esclave sexuelle en Syrie.
"J'ai été vendue à un Syrien qui m'a torturée et violée chaque jour, parfois avec ses amis", raconte à l'AFP cette mère célibataire de deux enfants. "J'implorais leur pitié mais ils n'en avaient aucune. Au contraire, ils m'ont frappée jusqu'à me casser les bras".
Accompagnée par des agents de recrutement, cette mère de 28 ans a quitté le Bangladesh avec d'autres femmes, avec la promesse de devenir domestique en Jordanie.
Mais elles aussi se sont retrouvées en Syrie, où les combats entre le régime et les rebelles ont fait plus de 260.000 morts.
Begum a contracté sur place une maladie du genou, poussant ses bourreaux à contacter sa mère âgée pour lui extorquer de l'argent en échange d'un rapatriement.
Son cas et deux autres font l'objet d'une enquête au Bangladesh, indique le lieutenant Colonel Golam Sarwar, des forces d'élite du Rapid Action Battalion (RAB). Les familles de 43 autres femmes ont déposé plainte pour les mêmes raisons.
"Le Bangladesh semble être une cible facile pour les trafiquants", dit Sarwar à l'AFP.
- 'Terrorisée en permanence' -
Les femmes du Népal et du Bangladesh sont les proies des réseaux de trafiquants car leurs gouvernements ont peu influence dans la région et n'ont aucune ambassade en Syrie.
L'interdiction décidée par le Népal de toute immigration de travail vers la Syrie n'a eu aucun effet sur ces réseaux, explique un représentant du Organisation internationale du travail (OIT).
"Le gouvernement népalais pense que l'interdiction est la solution la plus facile, cela lui permet de se débarrasser du problème", estime Bharati Pokharel, coordinateur de projets de l'OIT à Katmandou.
"L'Inde a beaucoup plus d'influence que le Népal et le Bangladesh et les trafiquants en sont conscients. Ils savent que le Népal est faible et qu'ils ne risquent donc aucune poursuite", dit-il à l'AFP.
Illettrée, soucieuse de sortir à tout prix de la pauvreté, Magar n'a pas hésité à suivre l'agent l'ayant approchée avec la promesse d'un emploi bien payé au Koweit. Jusqu'à Damas, la jeune femme de 23 ans ne s'est doutée de rien.
Ensuite, "j'ai été en permanence épuisée, affamée et terrorisée", dit-elle en racontant ses journées de 20 heures non payées et ses rares heures de sommeil passées sur le balcon de son employeur.
La nuit, pour masquer le bruit des tirs et chasser ses idées suicidaires, Magar écoutait de la musique népalaise sur son mobile - dont elle disposait, à la différence de son passeport, qui lui avait été confisqué.
- Fonctionnaires corrompus -
Après le séisme meurtrier d'avril au Népal, la jeune femme a supplié ses employeurs de pouvoir rentrer chez elle. Alertée par sa famille, la presse népalaise s'est fait l'écho de cette histoire et une campagne sur les réseaux sociaux s'est organisée pour sauver Magar. La diaspora népalaise s'est mobilisée pour verser 3.800 dollars et la libérer de ses employeurs.
Rentrée en août, Magar s'estime chanceuse d'avoir pu fuir.
Le Népal reconnaît être impuissant à agir en Syrie. L'ambassade au Caire, qui couvre neuf pays dont la Syrie, est débordée, souligne le responsable du ministère des Affaires étrangères népalais. "Nous avons surtout besoin d'action préventives pour empêcher ces femmes de venir en Syrie", dit le diplomate Ray.
Les experts estiment que des liens entre les agents de recrutement népalais impliqués dans le trafic et des fonctionnaires permettent à ces réseaux de traite et d'exploitation de femmes de prospérer.
"Même dans les rares cas de poursuites, les affaires trainent ou n'aboutissent pas à une condamnation", dit Krishna Gurung, coordinatrice de l'ONG Pourakhi à Katmandou, qui organise l'hébergement d'urgence de femmes migrantes.
Dans le village de Murali Bhanjyang au centre du Népal, Magar a peu d'espoir de voir les trafiquants devant la justice. "Je continue d'avoir ces cauchemars et je me mets à pleurer dans mon sommeil", raconte-t-elle.

Sunita Magar entourée de ses engants le 25 janvier 2016 à Dhadhing au Népal de retour de Syrie