Retenu un an et demi au Qatar, Zahir Belounis est devenu le symbole malgré lui des dérives de ce pays si cher aux intérêts français. Extrait de "Dans les griffes du Qatar - Chantage, mensonges et trahisons", publié chez Robert Laffont (1/2).
Flatteur mais je ne mérite évidemment pas d’être comparé au prix Nobel de la paix, premier président noir de l’Afrique du Sud, qui avait passé vingt-sept ans en prison afin de lutter contre l’apartheid.
Je ne me considère pas comme un Robin des Bois des temps modernes et, même si les injustices m’ont toujours rendu irascible, je ne me suis pas soudain transformé en parangon de vertu. Comme tous les joueurs de football qui signent dans cet émirat du Moyen-Orient, j’étais d’abord venu chercher fortune. Je n’avais pas de regard dédaigneux pour les gens qui souffraient : je ne les voyais pas, pire, je les ignorais. Je n’avais pas conscience de ce qu’une partie de la population vivait et subissait. À mon tour, j’ai côtoyé la misère, sans parler des misères ! J’ai alors regardé autour de moi et ouvert les yeux. J’étais prêt à tout perdre et, effectivement, ma lutte m’a coûté cher. Très cher, même. Je me suis endetté mais l’argent n’achète pas tout, à commencer par le respect. Ce que j’ai franchi m’a conforté dans ma volonté d’aider les laissés-pour-compte. Je suis en quelque sorte leur ambassadeur. Et si, modestement, je peux contribuer à éveiller les consciences afin que cet état de fait évolue au Qatar…
La source de mes tourments : la Military Sport Association, l’équipe de football qui m’a recruté en 2007 et qui soudainement, quatre ans plus tard, a troqué son nom pour celui d’Al-Jaish Sports Club, avec pour président du conseil d’administration le général Hamad ben Ali al-Attiyah, chef d’État-major des armées et ministre de la Défense du Qatar. Dès lors je n’ai plus été payé, et la tension s’est accélérée. Après des mois d’atermoiements de leur part, je suis allé au bras de fer. J’ai porté une première plainte à Doha. Pour que ce cauchemar ne dure pas éternellement, j’ai dû me résoudre à signer un licenciement antidaté, renonçant ainsi de fait à mon contrat, lequel courait jusqu’au 30 juin 2015. Adieu salaires, primes et autres avantages. Une spoliation en bonne et due forme, sous le regard d’officiels que j’ai fixé dans le blanc des yeux au moment d’apposer ma griffe et auxquels j’ai lancé, en larmes : « Ce jour est grave car vous acceptez que je signe. » Au Qatar, pour obtenir son visa de sortie et donc quitter le territoire, un salarié étranger doit impérativement bénéficier de l’accord de l’employeur : c’est le système controversé de parrainage qu’on appelle la kafala.
Deux semaines après mon retour en France, j’ai adressé une plainte au procureur de la République de Paris pour « escroquerie, conditions de travail contraires à la dignité de la personne, faux et extorsion de fonds aggravée », plainte également portée contre X. Des délits passibles théoriquement de prison. J’espérais que le parquet de Paris ouvrirait une information judiciaire et qu’un juge d’instruction serait désigné. La justice française a, et j’en suis heureux, donné suite à ma plainte.
Je ne suis pas un héros mais je suis fier d’avoir pris mes responsabilités. Oui, moi, Zahir Belounis, Français d’origine algérienne, élevé à Champigny-sur- Marne en région parisienne en chérissant le drapeau tricolore, je suis fier d’avoir eu le courage, en dépit de toutes les menaces et intimidations reçues, de désigner distinctement cet esclavagisme qui sévit encore au XXIe siècle. Fier de m’être dressé depuis le Qatar, sans doute avec une dose d’inconscience, contre un État affichant sa toute-puissance, son mépris des lois les plus élémentaires. Fier d’avoir tenu bon pour dénoncer un système basé sur le chantage. Fier d’avoir résisté à ces institutions puissantes, à ces hommes qui ont le bras long. Fier d’avoir défendu des valeurs et d’avoir mené ce combat en tremblant, en doutant, en vacillant parfois, mais sans chuter.
Bien sûr, depuis mon départ du Qatar, j’ai repris force et courage, entouré de l’amour des miens. J’ai relevé la tête. Mais le traumatisme reste profond et les nerfs à vif. Les plaies ne sont pas cautérisées, la douleur et la colère toujours présentes. La peur, également, surgit de temps à autre. Je ne suis pas encore en paix. Le serai-je véritablement un jour ? Je n’en suis pas convaincu… Ce que j’ai vécu, enduré plutôt, je ne le souhaite à personne, pas même à mon pire ennemi. Otage et prisonnier d’un système, privé de liberté et de visa, donc sans possibilité de quitter le pays, j’ai cru devenir fou. J’ai touché le fond, j’ai été à ramasser à la petite cuillère. Je n’ai pas honte de prétendre que je me suis retrouvé au bord du précipice. J’ai même craint d’y laisser ma peau. L’âme et le coeur ont été durement remués. Oui, je conserve des séquelles irrémédiables. Ma volonté de continuer à être joueur de football professionnel a été brisée net alors que j’avais déployé tant d’énergie à bâtir ma carrière. Sans salaire, j’ai dû puiser dans mes économies. J’en ai bavé psychologiquement, j’ai été détruit. Long est le temps de la reconstruction.
Extrait de "Dans les griffes du Qatar - Chantage, mensonges et trahisons", publié chez Robert Laffont, de Zahir Belounis, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.
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