mardi 12 mai 2015

"L'implication de la Chine au Népal atteste du rôle qu'elle compte tenir à l'international"

Le Point - Publié le 

Pour Le Point.fr, le diplomate et grand connaisseur de l'Himalaya Serge Koenig revient sur la capacité de gestion de séisme de la Chine.

L'aide de la Chine au Népal après le séisme est estimée à une dizaine de millions de dollars.
L'aide de la Chine au Népal après le séisme est estimée à une dizaine de millions de dollars. © He / Imaginechina
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Propos recueillis par 
Le Point.fr : Très peu d'informations circulent sur le bilan des victimes tibétaines du séisme népalais. On parle de 100 morts et de 200 000 personnes affectées ? 
Serge Koenig* : Il est difficile de donner des chiffres précis parce que le recensement de ces populations éparpillées dans l'Himalaya n'est pas systématique et que les Tibétains chinois et les sherpas népalais cohabitent, troquent, échangent en permanence dans ces zones frontières sino-népalaises parsemées de cols. Les zones chinoises les plus touchées sont les districts de Kyirong et de Nyalam. C'est là que passe la fameuse route Katmandou-Lhassa avec sa ville frontière de Zhangmu, à 120 kilomètres de Katmandou. C'est le passage routier himalayen le plus fréquenté avec près d'un demi-million d'entrées-sorties de frontaliers chaque année, quelque 60 000 touristes, et des centaines de camions de marchandises chaque jour. Zhangmu est un hameau tropical commerçant jalonné de bazars en tous genres suspendu à 2 300 mètres sur le versant sud où a sévi le séisme. Cette zone-là a été frappée de plein fouet : à ma connaissance 25 décès, un millier de maisons effondrées, des milliers d'autres endommagées dont quelques dizaines de monastères. En tout cas, les habitants ont été relogés notamment à Tingri et Xigatse. Aujourd'hui, la circulation sur cette route frontière a déjà été rétablie. Il faut dire que les Chinois sont généralement très efficaces. 
En quoi l'aide de la Chine est-elle précieuse pour accompagner le Népal ?
La Chine sait gérer un séisme, je pense notamment à celui qui a frappé le Sichuan en 2008. La situation d'une ampleur exceptionnelle (90 000 morts) avait alors été stabilisée en trois semaines. Les secouristes avaient affronté le sinistre comme en temps de guerre, intervenant simultanément sur tous les fronts : recherche et évacuation des victimes, prévention des risques de sur-accidents, les villages ensevelis, les explosions des usines chimiques, les incendies, les pollutions des rivières, les barrages fissurés, les contrôles des centrales nucléaires, les risques sanitaires, les logements d'urgence des sans-abri. 100 000 soldats avaient été déployés face à l'un des plus importants sinistres naturels de l'histoire du pays... Et puis comme la Chine est entrée dans le groupe des premières nations, cette puissance retrouvée l'investit de nouvelles responsabilités. Son implication sur la tragédie du Népal atteste bien du rôle qu'elle compte tenir dans l'avenir à l'international. Elle a envoyé des équipes de secours militaires et de la police armée, des équipes médicales, trois hélicoptères, des véhicules, des chiens renifleurs, des équipements d'urgence... Une aide estimée à une dizaine de millions de dollars. Il s'agit en tout cas d'une des plus importantes missions d'aide humanitaire chinoise à l'étranger depuis la fondation de la Chine nouvelle en 1949. 
Vous comparez les deux séismes du Sichuan et du Népal, mais la topographie était cependant différente... 
Non, le contexte était approximativement identique, même si le tremblement de terre du Sichuan était plus important en termes d'étendue et d'impact. Le versant népalais de l'Himalaya et le versant Sichuan du bloc Himalaya-Tibet sont des zones sismiques à reliefs vertigineux avec des villages blottis dans les fonds de vallées ou suspendus à flanc de montagne. Et des conditions météo pas toujours favorables pour l'usage des hélicoptères. Le tremblement de terre et ses répliques emportent des pans entiers des montagnes avec routes et chemins, et isolent, sinon ensevelissent, des zones habitées. Et comme la forêt et la végétation millénaire sont alors arrachées, les sols resteront instables avec une érosion accélérée pendant longtemps, et donc peu propice au réaménagement. En tout cas, les conditions de traitement de la situation étaient et seront les mêmes, mais avec une organisation et des moyens différents. D'où l'intérêt aussi que l'expérience chinoise soit apportée sur une urgence d'ampleur internationale telle que celle du Népal.
Le risque, dans la phase à venir de reconstruction, est que celle-ci se fasse avec les moyens du bord, sur des initiatives des habitants, sans compétences spécifiques, sans schéma directeur. Les surcoûts antisismiques et aux éco-normes seraient pourtant peu élevés, mais pour les appliquer, il faut des réglementations dans le pays et donc une gouvernance structurée. Ça n'est pas le cas au Népal. C'est d'ailleurs là un des défis de l'aide étrangère à la reconstruction qui se déploiera sur place. 
Le Népal compte sur l'aide internationale pour se relever. Comment les acteurs vont-ils pouvoir agir efficacement dans le contexte administratif et politique chaotique actuel ? 
La situation sociale-politique au Népal n'a jamais été simple : une structure de castes, une guerre civile récente, la monarchie renversée par les maoïstes, des gouvernements successifs et instables à Katmandou et qui ont d'autres priorités que la protection sismique, une corruption qui a toujours été un frein au développement du pays (1) qui pourrait pourtant ressembler à "une Suisse", au coeur de l'Asie... Pour autant, les acteurs humanitaires peuvent accéder directement aux populations sinistrées en les impliquant dans leurs actions pour pallier les urgences vitales, et pourront certainement le faire dans un second temps pour les accompagner dans la reconstruction. Ce lien direct avec les bénéficiaires est aussi la meilleure façon de prévenir des risques de corruption qui se développent presque toujours dans ce genre de situation d'urgence impossible à planifier, avec d'importants volumes financiers en jeu, et où de nombreux acteurs sont en interrelation et en interdépendance. En tout cas, les catastrophes ont souvent pour effet de doper la reconstruction et l'économie avec des soutiens et des investissements. Toutes les vies emportées et les familles brisées n'empêchent heureusement pas la vie de continuer. Alors on rebâtit, les villes et les infrastructures. Le PIB grimpe même souvent après de tels événements. Paradoxe qui devrait aussi permettre à cette population attachante du Népal de se relever et de regarder à nouveau vers l'avenir, avec dignité et confiance. 
(1) L'indice 2014 de la perception de la corruption dans le monde, établi par l'ONG Transparency Internationnal, des nations les plus vertueuses aux plus corrompues, place le Népal au 126e rang sur 175, devant la Chine (100e rang) et l'Inde (85e rang).
*Serge Koenig a dirigé pour les Affaires étrangères les opérations de recherche de 18 victimes de l'avalanche du Kanguru au Népal en 2006. Alpiniste et diplomate, ce guide de Chamonix et ex-conseiller montagne au cabinet du ministre des Sports de Jean-François Lamour, est vice-consul de France à Chengdu, et pour a pour mission, depuis 2007, d'exporter les savoir-faire alpins français dans l'ouest montagneux de la Chine.