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TRIBUNE. Cinq ans après le séisme, le Népal subit une crise encore plus grave avec le Covid-19Même si le Népal ne déplore officiellement aucune victime, la crise sanitaire et ses conséquences économiques et sociales risquent de remettre en cause le fragile redressement du pays, qui figure parmi les plus pauvres du monde, alerte Stéphanie Selle, directrice Asie de l’ONG Planète Enfants et Développement.
Par Stéphanie Selle (directrice Asie de l'ONG Planète Enfants et Développemen)
Publié le 25 avril 2020 à 08h00
Temps de lecture 6 min
Baktarpur, en périphérie de Katmandou, le 20 mai 2015. (ISHARA S.KODIKARA / AFP)
Le 25 avril 2015, un tremblement de terre d’une magnitude de 7,9 sur l’échelle de Richter et ses répliques ont touché 8 millions d’habitants au Népal et tué plus de 9 000 personnes. Paradoxalement, ces séismes avaient accéléré la transformation politique et administrative du pays, laissant augurer des lendemains différents.
Cinq ans plus tard, la crise du Covid-19 risque de marquer un coup d’arrêt à la lente progression népalaise. Il est à craindre qu’il soit beaucoup plus difficile encore pour le Népal de s’en remettre. Entre le 23 janvier et le 14 avril 2020, 6 299 tests ont été réalisés et 16 personnes ont été déclarées positives. Aucun mort n’est officiellement à déplorer. Mais face au risque de pression sur un système de santé extrêmement fragile, un confinement strict est en place depuis le 24 mars et jusqu’au 27 avril, au minimum. Seuls les petits commerces alimentaires de quartier sont encore ouverts et les forces de l’ordre font la chasse aux récalcitrants. Le pays est à l’arrêt.
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Le gouvernement népalais a exhorté les entreprises et la population à faire preuve de solidarité : certains propriétaires renoncent à leur loyer pendant un temps, les factures d’électricité sont suspendues jusqu’à nouvel ordre. Un fonds d’urgence public a été créé pour distribuer de l’argent, des coupons alimentaires ou du riz aux familles les plus vulnérables. Plusieurs hauts fonctionnaires y ont contribué en versant leurs salaires. Toutefois, il faut posséder des papiers et être résident permanent pour y avoir droit, ce qui exclut tous les migrants internes venus travailler dans les villes.
Résultat : alors que des dizaines de milliers de personnes ont fui la capitale Katmandou par la route, dans un exode urbain inédit, avant le début du confinement, les familles continuent de partir à pied, de nuit pour éviter les contrôles, afin de rejoindre leur village.
Un revenu par habitant de 970 dollars par an
Il y a cinq ans, la mobilisation sans précédent que la catastrophe naturelle avait déclenchée avait aussi donné l’opportunité aux organisations de la société civile, locales et internationales, d’aller au-delà de l’aide d’urgence. Mais la nécessaire transformation sociale est encore devant nous et la situation économique du pays reste fragile.
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La majeure partie de la population vit toujours de l’autosubsistance, de petits travaux payés à la journée et des transferts d’argent de la diaspora népalaise dispersée dans le monde. Le tourisme est le premier secteur d’activité.
Le Népal demeure l’un des pays les plus pauvres du monde et fortement dépendant des pays voisins comme la Chine et l’Inde, faute de ressources naturelles. Le revenu national brut (RNB) par habitant s’élève à 970 dollars par an, contre 2 020 dollars en Inde et 41 080 dollars en France (données 2018 – Banque mondiale). Ce montant moyen ne tient pas compte de grandes disparités avec des populations fortement marginalisées. Le pays figure à la 147e position sur 189 pays en matière de développement humain (données 2018 – Rapport PNUD)
Le séisme de 2015 avait sérieusement détérioré les conditions de vie des Népalais. Mais il avait aussi produit l’effet d’un catalyseur sur la classe politique qui avait enfin réussi à s’unifier pour adopter une nouvelle Constitution le 20 septembre 2015, neuf ans après la fin de la guerre civile. Un nouvel Etat, une République fédérale rassemblant sept provinces aux larges prérogatives, est né des poussières du tremblement de terre.
Système patriarcal encore vivace
Bien que la mise en place administrative ait pris trois ans, que le découpage des frontières provinciales ait généré – et génère encore – des désaccords entre ethnies, groupes religieux et communautés de langues, et que la distribution des responsabilités et des budgets soit toujours discutée, la nouvelle Constitution permet théoriquement un meilleur accès aux services de base pour les citoyens.
La Constitution a aussi lancé un mouvement progressif et inclusif avec un cadre législatif plus favorable aux femmes, aux minorités ethniques et sexuelles et aux basses castes.
En revanche, si des droits fondamentaux sont désormais reconnus, leur application reste un défi. En effet, les bureaux de protection des femmes et des enfants qui existaient au niveau des districts ont disparu et les mécanismes municipaux sont encore à venir. Par exemple, le « chhaupadi », tradition hindoue qui interdit aux femmes l’accès à la maison pendant leur menstruation et après leur accouchement, est certes condamné par la loi mais demeure largement pratiqué dans le centre et l’ouest du pays.
Le système patriarcal est encore vivace : la femme ne devient citoyenne que si son père ou son mari l’y autorise, un énorme frein à son autonomisation ; et seul le père peut transmettre la nationalité népalaise à ses enfants. Les hautes castes sont toujours au pouvoir.
Pas d’expédition sur l’Everest
A la suite du séisme, l’afflux de dons aux ONG [1] a été colossal et a décuplé les moyens d’action pour reconstruire mais aussi améliorer la vie des populations sur le long terme. Le maillage des associations locales, déjà dense, s’en est trouvé renforcé et ces acteurs de la société civile sont des interlocuteurs pertinents pour les nouveaux élus locaux aux responsabilités étendues. Mais, en 2020, les bailleurs de fonds auront déjà fort à faire dans leurs propres pays…
On peut craindre aussi du confinement une exposition accrue des femmes et des enfants à la violence, notamment la violence domestique et la violence liée au sexe. Les plus affectées peuvent aussi être tentées par des stratégies d’adaptation négative comme le travail des enfants ou l’envoi d’enfants dans d’autres familles (sur le principe du « Kamalari » [4]) d’autre part.
L’allocation des fonds se fera au détriment de la protection. D’ores et déjà, les budgets alloués aux bureaux locaux de développement ont été réorientés vers la gestion du virus et de ses conséquences.
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Alors qu’en 2015, le séisme a frappé le pays une fois la saison des trekkings et des expéditions du printemps presque achevée, le Covid-19, quant à lui, arrive en début de saison. Tous les permis d’expédition sur l’Everest ont été annulés, les visas suspendus jusqu’à nouvel ordre. Les acteurs du secteur sont exsangues.
Des millions de travailleurs népalais à l’étranger se retrouvent coincés sur les chantiers ou contraints au chômage technique, limitant leur possibilité d’envoyer de l’argent dans le pays. L’économie informelle de Katmandou disparaît, laissant ses très modestes travailleurs sans revenus. Les difficultés d’acheminement des biens de première nécessité laissent craindre une pénurie alimentaire.
Un important travail reste à mener pour favoriser l’autonomie du pays, les changements de comportements notamment vis-à-vis des femmes et des ethnies très marginalisées, pour lutter contre une éducation à deux vitesses et favoriser l’égalité des chances, le tout en partenariat étroit avec les autorités locales.
Secoué par dix ans de guerre civile, une révolution, des catastrophes naturelles à répétition et bien mal préparé à gérer un écroulement de son budget, le Népal va connaître une longue et douloureuse période et ne s’en sortira pas seul. Seule une solidarité internationale massive pourra lui éviter de brader son indépendance à un de ses deux grands voisins, l’Inde ou la Chine…
[1] Chez Planète Enfants & Développement, outre l’apport de l’aide d’urgence immédiatement nécessaire, ces fonds ont permis dans le district de Nuwakot directement touché par le séisme la distribution de biens de première nécessité et des aliments à 8 600 personnes ainsi que le suivi psychologique de plus de 2 000 personnes. Plus de 4 000 enfants ont été accueillis dans des espaces scolaires provisoires et 160 foyers paysans soutenus (outils, bêtes, semences). Enfin, 40 femmes et enfants victimes de violences ou de traite ont été identifiés et accompagnés.[4] Officiellement aboli depuis 2006, le Kamalari est une forme d’esclavage moderne où des fillettes et des jeunes filles sont vendues par leurs parents en servitude sous contrat pour des périodes d’un an à des familles plus riches et de plus hautes castes, généralement en dehors de leur village
Stéphanie Selle (directrice Asie de l'ONG Planète Enfants et Développemen)
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