mercredi 29 avril 2015

Les Népalais manquent d'argent, pas de bras.

Décider de vous rendre au Népal au lendemain du tremblement de terre n'aidera pas les sinistrés. Au contraire.
Une gigantesque catastrophe naturelle vient encore une fois de frapper un pays en développement. Cette fois, c'est le Népal qui est touché. Le monde entier peut voir les images atroces de la souffrance des victimes, les monuments historiques en ruines et le spectacle de la terreur qui s’abat à nouveau à chaque réplique.
À mesure que le nombre de morts continue d’augmenter, s’impose la sinistre réalité des épreuves qui attendent le Népal. Nous revient à l’esprit le séisme de Haïti de 2010, qui a également dévasté un centre urbain surpeuplé aux bâtiments miteux et aux règles architecturales laissant à désirer et rendu des millions de personnes totalement vulnérables. Les organisations humanitaires et les pays voisins se rendent en masse au Népal pour aider à chercher les survivants et apporter de l’aide –abris d’urgence, nourriture, eau et toilettes– à ceux qui en ont le plus besoin.

«Deuxième catastrophe»

On dit que l’aide humanitaire est le secteur le moins réglementé du monde. Je suis bien placée pour le savoir. J’ai travaillé dans ce domaine pendant presque quinze ans, pour des agences des Nations unies et des ONG lors des crises humanitaires parmi les plus urgentes du monde. S’il y avait de nombreux experts formés et expérimentés sur terrain, le travail était compliqué, sale, long et demandait toujours une forte coordination entre plusieurs parties en mouvement.

Et bien souvent, lors de ces catastrophes naturelles, des foules de volontaires bien intentionnés mais sans aucune qualification aggravaient la crise. À Haïti après le tremblement de terre de 2010 et en Asie du sud-sst après le tsunami de 2004, certains de mes collègues humanitaires qualifiaient ces groupes de «deuxième catastrophe».
J’ai déjà vu des questions sur Internet de gens qui se demandent s’ils doivent sauter dans le prochain avion pour Katmandou pour apporter leur aide. Dans le genre site à catastrophe naturelle, le Népal est un lieu plutôt engageant: un cadre magnifique, en paix, peu de restrictions de visas et un secteur touristique bien développé. L’observateur bien intentionné a toutes les raisons de se dire:
«Pourquoi pas? Je vais aller leur donner un coup de main.»
En réalité, c’est une très mauvaise idée. N’allez pas au Népal. Vous créeriez plus de problèmes que vous n’en résoudriez.

Engorgement

Lorsque les volontaires novices débarquent, ils gênent les professionnels qui sont là pour mettre en œuvre leur savoir-faire. Des avions entiers de bénévoles doivent être logés, nourris et leur sécurité assurée, responsabilité qui détourne le temps et les ressources des organisations qui essaient de répondre aux besoins des vraies victimes. À moins que vous n’ayez des compétences spécifiques –dans le domaine de la recherche et du sauvetage, de la médecine d’urgence, de la logistique– dont aurait besoin une agence capable de s’occuper de vous pendant votre séjour, restez chez vous.
Bien souvent, lors de catastrophes naturelles, des foules de volontaires bien intentionnés mais sans aucune qualification aggravaient la crise
Vous pensez peut-être qu’il y a tant à faire, tant de gens à aider, tant de décombres à évacuer –qu’évidemment une paire de bras supplémentaire ne peut pas faire de mal. Il est vrai qu’au Népal l’ampleur de la tâche est écrasante. Mais la priorité immédiate est de laisser entrer les chercheurs professionnels et les équipes de sauvetage –groupes qui arrivent déjà d’Inde, de Chine, du Pakistan, d’Israël et des États-Unis, pour n’en nommer que quelques-uns. Le bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies signale déjà qu’à l’aéroport de Katmandou équipes et aides tentant d’accéder au Népal créent des engorgements.
Et si les axes principaux sont censés être ouverts, les petites routes permettant de rejoindre les villages durement frappés restent inaccessibles. Il ne faudrait pas que des gens sans qualifications encombrent les pistes d’atterrissage nécessaires au transport du personnel qualifié vers les zones sinistrées.

Citoyens ordinaires

Quand je travaillais à Haïti après le tremblement de terre de 2010, j’ai vu débarquer des centaines de volontaires étrangers sans expérience pour aider à déblayer les décombres. Les agences humanitaires comme celle pour laquelle je travaillais payaient les habitants dans le cadre de leurs programmes «argent-contre-travail» pour les aider. Les bénéfices étaient doubles: cela permettait de dégager les décombres et de donner de l’argent aux Haïtiens au moment où ils en avaient le plus besoin. Les bénévoles étrangers ne faisaient que prendre le travail des Haïtiens.
Voici la règle: si des gens sur place peuvent faire le boulot, laissez-leur. N’allez pas le faire à leur place.
Voici la règle: si des gens sur place peuvent faire le boulot, laissez-leur. N’allez pas le faire à leur place
Comme nous l’avons vu aux Philippines, la plus grande partie de l’aide humanitaire immédiate ne vient pas seulement d’organisations locales déjà installées mais aussi de citoyens ordinaires, amis et voisins. Plusieurs mois après le passage du typhon Yolanda, j’étais à Tacloban, où une chef de village gardait un registre des groupes venus aider sa communauté. Les premières dizaines étaient des associations locales –églises, étudiants des universités, organisations communautaires voisines.
La communauté internationale était arrivée plus tard et avait fourni une aide très nécessaire, mais les premiers à répondre étaient et sont toujours les voisins et les compatriotes, qui sont au fait des besoins, connaissent les us et coutumes, la langue, et savent comment fournir le plus efficacement les biens locaux nécessaires. Sans surprise, c’est également ce qui se passe au Népal, où la Croix Rouge népalaise, par exemple, travaille jour et nuit depuis le tremblement de terre. Il faut aider ces organismes et non se substituer à eux.

Argent plutôt que vêtements

Vouloir aider est une impulsion humaine louable. Mais l’aide doit être apportée de façon la plus utile possible. Il faut non seulement résister à la tentation de se ruer à l’aéroport, mais aussi s’empêcher d’envoyer des objets. Comme je l'ai déjà écrit, expédier des vêtements, des bouteilles d’eau et des ours en peluche est inefficace (ces dons ne sont pas utilisés parce que ce n’est pas ce dont les victimes ont envie ni besoin), contre-productif (le temps et l’argent dépensés à transporter et décharger tout cela serait mieux utilisé à aider les gens) et cela nuit à l’économie locale (en privant les habitants d’emploi).
Ce qu’il faut, c’est envoyer de l’argent à des agences réputées –voici une liste d'organismes fiables– déjà sur le terrain et qui apportent leur aide aux victimes en difficulté. Voilà ce que demandent les agences au Népal en ce moment: du carburant, pour faire fonctionner les générateurs, des vaccins contre la rougeole, car une épidémie est possible, et des housses mortuaires. La plupart des particuliers et des entreprises ne peuvent probablement pas proposer ce genre d’aide, mais nous pouvons donner de l’argent aux organisations humanitaires capables d’acheter le nécessaire. Sauf lorsqu’elles demandent des objets spécifiques qu’elles ne peuvent acheter elles-mêmes, ne leur envoyez rien.
Du carburant, pour faire fonctionner les générateurs, des vaccins contre la rougeole et des housses mortuaires
Dans le secteur de l’humanitaire, nous avons un nom pour certaines des personnes qui se ruent sur les zones sinistrées: nous les appelons des «volontouristes». Le mot n’est peut-être pas très joli et il n’est pas dans notre intention de rabaisser les élans réellement généreux des gens, mais cela souligne à quel point les volontaires non formés gênent davantage qu’ils n’aident.
Ce n’est pas au lendemain d’une catastrophe que l’on décide de devenir un travailleur humanitaire. Si vous voulez en faire votre profession, acquérez les compétences et le savoir-faire nécessaires, formez-vous d’abord. Ensuite envisagez de donner un coup de main dans des zones loin des feux des médias –en République centrafricaine, au Soudan du Sud, ou peut-être en République démocratique du Congo. Chacun de ces pays affronte une crise humanitaire largement ignorée du grand public. Pour l’instant, le meilleur moyen d’aider le Népal consiste à donner de l’argent à ceux qui sont déjà là-bas, en train de faire ce qui doit être fait.