Sur les chantiers de la prochaine Coupe du monde, la main-d’œuvre étrangère a bénéficié de quelques avancées de ses conditions de vie. Mais le flou reste complet sur le nombre de morts.
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Par Benjamin Barthe (Doha, envoyé spécial)
De gigantesques arènes de béton et d’acier ont commencé à sortir du désert qatari. Tout autour de Doha, la capitale, là où il n’y avait que du sable, des cailloux et des buissons desséchés, les futurs stades de la Coupe du monde de football 2022, qui se jouera dans cet émirat de la péninsule Arabique, sont en train de prendre forme.
L’un des plus avancés, qui devrait être terminé à la fin de l’année, est celui d’Al-Wakrah, situé en lisière de la ville du même nom, au sud de Doha. Tout le squelette est en place, jusqu’à la charpente de 378 tonnes, sur laquelle un toit ondulé, en forme de voile de boutre, les embarcations traditionnelles du Golfe, est en cours d’installation.
D’ordinaire, la construction de ces enceintes n’intéresse les médias que dans les mois précédant la compétition, les observateurs se demandant rituellement si elles seront « prêtes à temps ». Mais, dans le cas du Qatar, ces grands travaux ont généré une attention immédiate, pour deux raisons spécifiques au Golfe.
Demande d’abolition de la « kafala »
D’une part l’extrême chaleur qui y sévit l’été, avec des températures pouvant dépasser les 50 degrés, soupçonnées d’être la cause de nombreuses morts sur les chantiers ; et, d’autre part, le système de la kafala (« tutelle »), qui, dans cette région, enchaîne les travailleurs étrangers à leur employeur, les soumettant au bon vouloir de ce dernier pour changer d’emploi ou sortir du pays.
Choquées à l’idée que les centaines de milliers d’immigrés asiatiques attendues sur les chantiers de la Coupe du monde se retrouvent à trimer dans des conditions proches de « l’esclavage », des organisations de défense des droits humains ont tiré la sonnette d’alarme, en réclamant l’abolition de la kafala.
En 2013, dans une enquête retentissante parue dans le Guardian, la Confédération syndicale internationale (CSI) avait même affirmé que 4 000 ouvriers risquaient de périr au Qatar d’ici au match d’ouverture, en 2022. Une extrapolation, contestée par les responsables locaux, obtenue à partir des statistiques officielles de l’année 2012, qui faisaient état de 520 morts, dont 385 inexpliquées, dans les communautés du Népal, d’Inde et du Bangladesh. Celles-ci forment les trois quarts de la main-d’œuvre immigrée du Qatar, estimée à 2 millions de personnes.
Sous les gradins en construction du stade d’Al-Wakrah, dont la moitié sera démontée à la fin de la compétition et léguée à des pays en voie de développement, ces chiffres macabres laissent perplexe. Les contremaîtres qui encadrent la visite assurent n’avoir aucun mort à déplorer depuis le lancement des travaux.
Par Benjamin Barthe (Doha, envoyé spécial)