lundi 1 juillet 2019

article sur les Kumaris copié sur le site Facebook de France Népal

La vie fragile des Kumaris, les déesses vivantes népalaises

Maria Contreras Coll a photographié les coulisses d'une des traditions religieuses les plus critiquées au monde.

Quand, en 2017, la photographe espagnole Maria Contreras Coll a visité Katmandou, au Népal, elle a été frappée par les incroyables histoires des déesses vivantes du pays. Des jeunes filles, qui, entre trois et six ans, sont choisies par les grands prêtres pour représenter physiquement la force de la divinité féminine, ou devi. Tout le monde, des rois aux reines, en passant par les dirigeants politiques et les habitants lambda, se ruent en masse dans les temples de Katmandou et de Patan pour apercevoir l’une d’elles. Selon la légende, cela porterait chance.
Vêtue d’un sari en brocart et de parures dorées, la Kumari – c’est son nom traditionnel – vit complètement isolée, et n’a le droit de parler qu’à sa famille et aux prêtres. Elle ne sort que pour de rares événements publics et, pendant les festivals, on la déplace dans des palanquins. De tout son règne, qui ne se termine que quand la jeune fille atteint la puberté, ses pieds ne doivent jamais toucher le sol.
Coll explique : « C’est une histoire qui m’a surprise. Je travaillais sur un article qui parlait de la tradition du chaupadi, au Népal, et la tradition des Kumaris m’a captivée, car c’est une histoire liée au cycle menstruel. Dès que les jeunes filles ont leurs règles, elles ne sont plus des déesses. Elles redeviennent mortelles. J’ai eu le sentiment de devoir parler de ce lien entre traditions et droits de la femme. »
À 27 ans, la Barcelonaise a toujours été attirée par les histoires de femmes. Chez elle, elle a documenté des récits de femmes réfugiées. Pour son premier voyage dans le sous-continent, cependant, elle a été interpellée par les anciennes traditions qui tournaient autour des femmes. La pratique du chaupadi l’a conduite dans les régions rurales du Népal, où elle a rencontré les femmes isolées dans les « huttes de menstruation » au moment de leurs règles. Suite à sa rencontre avec la Kumari actuelle et les précédentes, Coll a décidé de rallonger son séjour de deux ans.
« Les Kumaris savent qu’une année ne suffit pas pour reprendre une vie normale au sein de la société mortelle »
La tradition des Kumari sest vieille de plus de trois cents ans, mais elle est très décriée par les activistes qui la jugent trop rétrograde, en plus du fait qu’elle empêche les jeunes filles de vivre comme les autres enfants. Dans sa collection d’images Mortal Again, Coll nous montre un aperçu des problèmes complexes auxquels sont confrontées les Kumaris, et pourquoi cette tradition religieuse devrait être considérée comme bien plus que cela. Extraits :
VICE: Quelle a été votre expérience sur le terrain, au Népal ?
Maria Contrera Coll :
 Je me suis toujours sentie très bien accueillie au Népal. J’ai trouvé que les gens y étaient très gentils et désireux de partager leurs histoires avec le monde entier. J’ai aussi eu le sentiment que les femmes étaient les vraies initiatrices des changements, surtout en matière de traditions. J'ai pu voir à quel point leur activisme transformait les villages, et j’étais intéressée de voir en quoi cet activisme faisait évoluer la culture népalaise.
Qu'avez-vous pensé de cet activisme, surtout en ce qui concerne les Kumaris ?Quand je faisais mes recherches sur les Kumaris de la vallée de Katmandou, les anciennes Kumaris m’ont aidé à comprendre non seulement le fait d’être une Kumari, mais aussi leur transition à la vie normale, après qu’elles aient eu leurs premières règles. Cette tradition est très décriée par les militants des droits de l’homme, car elle empêche les jeunes filles de vivre une enfance normale. Les Kumaris savent qu’une année ne suffit pas pour reprendre une vie normale au sein de la société mortelle.
Comment s'est passée votre rencontre avec les anciennes Kumaris ?J’ai rencontré Chanira, une ancienne déesse originaire de la ville de Patan (qui n’apparaît pas dans la série), maintenant âgée de 23 ans. C’est elle qui m’a aidé à comprendre la tradition. Elle veut lancer un groupe de soutien pour les anciennes Kumaris, afin de faciliter leur transition vers une vie normale. J’ai trouvé cela intéressant car c’était une solution à toutes les critiques auxquelles la tradition a été confrontée. Chanira m’a aussi montré le lien très fort qui unit toutes les anciennes Kumaris entre elles, mais aussi avec la Kumari actuelle. Les anciennes déesses aident la nouvelle à apprendre à bien se comporter. C’est vraiment fascinant.
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« Quand on est déesse, on ne peut ni boire ni manger avec ses parents, parce qu’ils peuvent te contaminer. Il faut alors manger seule, dans des assiettes et des bols séparés »
Comment avez-vous mené vos recherches ?De toutes les Kumaris népalaises, celles de Katmandou et de Patan sont les plus importantes. Ce sont aussi elles qui font face à plus de restrictions. Entre 2017 et 2018, j’ai pensé qu’il était important de ne pas photographier que la tradition, mais aussi ce qui arrivait à ces jeunes filles qui atteignaient la puberté et doivent réapprendre à « vivre comme une mortelle ». Elles doivent apprendre à être traitées comme des jeunes filles normales, à aller à l’école et à marcher seules dans les rues.
À Patan, j’ai rencontré Unika, que j’avais photographiée alors qu’elle était encore Kumari, en 2017, et puis de nouveau après qu’elle ait démissionné en 2018. S’il y a un bien un détail important à retenir, c’est que les Kumaris ne sont, en réalité, pas du tout isolées, car elles appartiennent à cette communauté, et que les anciennes Kumaris sont toujours là pour les aider.
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Dans le monde occidental, on voit cette tradition des Kumaris d’un très mauvais œil. Mais vous, vous avez voulu l’étudier sous un autre angle. Pourquoi ?
Oui, j’étais vraiment fascinée par cette pratique et je voulais en apprendre davantage. Mais la première fois que j’ai vu une Kumari, j’ai vraiment ressenti un pouvoir puissant, et c’est quelque chose qui me hante, encore maintenant. Malgré cela, quand je travaille, j’essaye de ne pas avoir d’idées préconçues. Je cherche toujours à être ouverte d’esprit vis-à-vis du sujet et de l’histoire, en restant avec les habitants. C’était pareil avec les Kumaris. Je n’étais pas là pour essayer de changer la culture népalaise ; je voulais comprendre l’histoire et ses complexités.
Ça a été facile d'approcher de la Kumari actuelle ?
Tous mes amis népalais ont été surpris quand j’ai pu entrer dans la maison de la Kumari et la prendre en photo. Pour eux, ce n’est pas habituel, car ils voient les Kumaris comme un symbole de pouvoir. Bien sûr, moi aussi, mais j’ai suivi la famille de la Kumari pendant des mois, pour pouvoir être au cœur de l’action. Parfois, j’allais au temple, là où ils vivent, vers 6 heures du matin, juste pour y être. Et puis, j’ai finalement réussi à avoir un laissez-passer que tout le monde n’a pas, et je le vois comme une bénédiction.
Les Kumaris ne sont pas censées avoir de contact avec les gens de l’extérieur, pourtant. Comment avez-vous utilisé ce temps imparti ?
Je ne lui ai pas parlé. Je n’en n’avais pas le droit. Mais je pouvais photographier sa vie quotidienne. C’est pour ça que j’ai déménagé au Népal en 2017. J'y suis restée pendant deux ans. Je voulais m’y construire une maison, et qu’elle devienne une partie de la ville, du pays. C’est pour ça que j’aime les histoires longues, celles où on a le temps et l’opportunité de se rapprocher des gens, où on peut examiner le problème ou une situation dans son ensemble, et aussi à travers une perspective intime et personnelle.
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Comment les Kumaris transitionnent-elles vers une vie normale, "mortelle" ?
L’expérience varie selon les Kumaris. Les deux dernières Kumaris, respectivement originaires du Katmandou et de Patan, je les ai suivies à l’école et chez elles. Bien qu’elles ne soient plus des déesses, on peut quand même voir l’aura qui les entoure. Pour la communauté, ces filles ont quelque chose de spécial.
Mais bien sûr, elles restent des fillettes normales, qui font leurs devoirs et qui vont à l’école à pied. Matina, une ancienne Kumari de la région de Katmandou, et Unika, de Patan, jouent toutes les deux à l’école et voient d’autres enfants. Elles n’ont pas joué avec d’autres enfants pendant très longtemps, alors elles sont plus timides que les autres, et apprennent toujours à se comporter en enfants.
Alors, d’une certaine manière, elles sont toujours considérées comme des déesses, bien qu’elles n’aient plus le titre.
C’est mon ressenti. Dans la communauté des Néwars, quand quelqu’un atteint l’âge de 77 ans, cette personne est également considérée comme une divinité. La famille entière doit vénérer le grand-père ou la grand-mère. Mais Unika, étant elle-même une ancienne divinité, n’a pas eu à vénérer sa grand-mère. C’était fascinant d’observer ces petits détails. Autre chose : quand on est déesse, on ne peut ni boire ni manger avec ses parents, parce qu’ils peuvent te contaminer. Il faut alors manger seule, dans des assiettes et des bols séparés. Quand Unika a perdu le titre de déesse, et est allée à l’école, elle a continué à manger à l’écart, car c’est ce dont elle avait l’habitude.
Elles ne sont pas vues comme « étranges » ou rejetées du tout. Pour les Népalais, c’est connu que les anciennes Kumari ne peuvent pas se marier. Si elles le font, elles jettent l’opprobre et le malheur sur leurs maris. Mais la plupart des anciennes déesses sont maintenant mariées, et ont des enfants. Néanmoins, certaines m’ont avoué estimer que leur vie n’était pas aussi simple que celle des femmes normales, et qu’elles faisaient, apparemment, peur aux hommes.
Sont-elles au courant des effets qu’elles ont sur les gens ?
Oui, bien sûr, parce qu’on les reconnaît dans la rue, ou par la manière dont les gens les traitent. La plupart des anciennes Kumaris m’ont avoué avoir trouvé que la chose qu’elles appréciaient le plus quand elles avaient été déesses, c’était de pouvoir bénir les gens. Elles ne sont certes plus des déesses maintenant, mais elles savent qu’elles ont un rôle important, et spécial au sein de la communauté.
Pour plus de photos, rendez-vous sur le site de Maria Contreras Coll.
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