jeudi 8 septembre 2016

Népal : Human Rights Watch donne la parole aux enfants mariés de force

Népal : Human Rights Watch donne la parole aux enfants mariés de force
Une Népalaise mariée à l'âge de 13 ans.
C'est le troisième pays d'Asie où le phénomène est le plus fort. La pauvreté, aggravée par le séisme de 2015, est souvent à l'origine de ces unions.

«Je ne savais rien de ce qui pouvait se passer entre un homme et une femme.» Sapana K., jeune népalaise, ne sait plus à quel âge elle s’est mariée. Elle devait avoir 10 ou 11 ans. Comme elle, 700 millions de femmes à travers le monde étaient enfants pour leur mariage. Un tiers d’entre elles se sont mariées avant l’âge de 15 ans, en majorité dans un pays d’Asie du Sud.
C’est sur le Népal, qui a le troisième plus haut taux de mariages d’enfants en Asie après le Bengladesh et l’Inde, que s’attarde le dernier rapport de l’ONG Human Rights Watch (HRW). Intitulé «Our time to sing and play – child marriage in Nepal» («A notre tour de chanter et de jouer – le mariage des enfants au Népal»), il donne la parole aux principaux concernés, «dont la plupart n’ont plus aucun espoir en leur avenir», confie Heather Barr, chercheuse sur les droits des femmes à HRW. Selon l’Unicef, le mariage précoce (avant 18 ans) concerne 37% des Népalaises et 11% des Népalais. Un problème social qui perdure alors même que l’âge minimum est établi à 20 ans depuis 1963.

Fuir la pauvreté

Les communautés dalit (les «exclus») et indigènes, majoritairement implantées dans le sud du pays, sont les plus concernées par ces mariages précoces. Elles souffrent d’une importante exclusion : accès limité aux ressources et aux services, non-respect des droits… A la suite de séismes, dont le dernier remonte à avril 2015, leur situation s’est aggravée et cette pauvreté est souvent à l’origine des mariages arrangés. Rama Bajgain explique que ses filles de 15 ans et 16 ans «étaient d’accord pour se marier parce que [leur] situation à la maison n’était pas bonne». Elle ajoute que «ce n’étaient pas des mariages forcés. Elles pensaient avoir une vie meilleure, de quoi manger et s’habiller».
Dans les faits, même si le mariage améliore parfois les conditions de vie, la majorité regrette : «J’ai arrêté l’école et je reste à la maison», explique Sitara Thapa, dont les parents ont arrangé son mariage quand elle avait 15 ans. Kamal Kumari Pariyar a, quant à elle, été contrainte de quitter l’école à 10 ans, pour devenir domestique à 13 ans. «Si j’avais étudié, j’en aurais su plus sur le mariage», a-t-elle confié à HRW. Au Népal, 44% des femmes et 23% des hommes ne sont en effet jamais allées à l’école. Même si la constitution népalaise indique que «tous les citoyens devraient avoir droit à une éducation gratuite et obligatoire en primaire, et gratuite dans le secondaire», les filles sont particulièrement victimes de discrimination, à la fois de la part de la famille et de l’école.«Pour les parents, chaque dépense destinée à l’éducation des filles est gâchée», témoigne Heather Barr, et plusieurs filles parlent de violences commises à leur insu par des enseignants.

«Tu iras au paradis»

A l’adolescence, les familles craignent des comportements attribués à la puberté féminine : relations amoureuses et sexuelles, grossesses accidentelles, ou fugue avec un petit ami. Le mariage devient souvent une solution à ces angoisses, et Heather Barr estime que «la discrimination sexuelle et la dimension traditionnelle constituent des facteurs importants de mariages arrangés». Certaines communautés ont, effectivement, pour coutume de marier les jeunes filles dès leurs premières règles, en gage de bonne fortune. «Dans ma culture, on dit que si tu te maries avant tes premières règles, tu iras au paradis», explique Pramila Pandey, mariée à 14 ans. Pour échapper aux mariages forcés, beaucoup de jeunes couples s’enfuient pour faire un «mariage d’amour». Mais dans tous les cas, le mariage constitue un passage obligé et prononcé le plus tôt possible. Il permet d’éviter les commérages.
Souvent, les filles se marient car elles ont peur de tomber enceinte dès qu’elles sortent avec un garçon. «Même en se tenant la main», explique une membre de HRW dans le rapport. Les grossesses précoces sont dangereuses à la fois pour la mère et pour l’enfant : selon l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les filles de moins de 20 ans – dans les pays aux revenus faibles ou moyens – ont plus de chance d’avoir des complications et les bébés meurent souvent dans les premières semaines.

Changement d’ici 2030 ?

Face à ce problème de société, le gouvernement népalais ne reste cependant pas inactif. En 2014, le pays a participé au Girl Summit de Londres, où il s’est engagé à mettre fin aux mariages précoces d’ici 2020. Une promesse repoussée cette année à 2030, ce qui paraît «ambitieux et difficile, mais plus réalisable», pour Heather Barr. Elle explique qu'«il faut que la lutte contre le mariage des enfants devienne une priorité et que tous les ministères et donateurs concernés développent une stratégie commune».
Elle trouve alarmant que «l’année dernière, la police soit intervenue sur seulement 23 cas de mariages arrangés». «Ce n’est pas suffisant, ajoute-t-elle. Il faut que la police fasse appliquer la loi.» Actuellement, au Népal, arranger ou prononcer un mariage entre deux personnes de moins de 20 ans est passible de six mois à trois ans de prison, et d’une amende de 1 000 à 10 000 roupies (de 8,3 à 83 euros). Des sanctions encore insuffisantes pour HRW, qui suggère de les durcir, d’imposer la vérification de l’âge des époux avant l’enregistrement de l’union, ou encore de fournir aux jeunes concernés une aide sanitaire et psychologique solide.