vendredi 25 mars 2022

Journal de la diaspora : témoignage d'un travailleur migrant népalais au Qatar

 Je partage mon histoire afin que d'autres découvrent mon expérience

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages Web en anglais.]

Cet article a été initialement traduit à partir d'un entretien en népalais et publié dans l'hebdoemadaire anglais, Nepali Times. Cette version éditée est republiée sur Global Voices dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

Plus d’un million de Népalais travaillent dans les pays du Moyen-Orient et on estime que 12,5 % de la population qatarie, forte de 2,8 millions de personnes, est originaire du Népal.

Au cours des dernières années, des milliers de personnes ont été embauchées au Népal pour la construction de stades, d'hôtels et d'autres infrastructures dans la perspective de la Coupe du monde de football de 2022 [fr], prévue au Qatar. Des témoignages font état de conditions de travail déplorables et d'un nombre élevé de décès inexpliqués parmi les travailleurs migrants. Découvrez ici le récit d'un travailleur migrant népalais au Qatar, ayant regagné son pays en 2021 :

« Je raconte mon histoire pour que d'autres personnes puissent apprendre de mon expérience. Je souhaite rester anonyme ».

Trois mois ne se sont même pas écoulés depuis mes adieux à ma famille, et je suis déjà de retour au Népal après un séjour au Qatar.

J'avais reçu la promesse d'un emploi de personnel de chambre dans un hôtel cinq étoiles, mais je me suis retrouvé sur un chantier de construction où je devais porter du matériel lourd toute la journée. J'ai déboursé plus de 100 000 roupies népalaises (soit 837 dollars américains) pour cet emploi, grâce à des prêts et à la vente des bijoux de mes sœurs. Pourtant, ce n'était pas ce pour quoi j'avais signé.

Malgré cela, je n'avais pas d'autre choix que celui d'accepter mon sort. Après un mois de travail physique, je suis tombé malade et j'ai compris que je n'étais pas fait pour ce travail. Mon entreprise ne s'est jamais préoccupée de ma santé lorsque j'étais à l'hôpital ou en convalescence dans ma chambre.

Je voulais rentrer chez moi mais mon employeur refusait de me libérer, et j'ai finalement été contraint de m'échapper sans qu'ils ne sachent. Les employeurs ont la réputation de constituer des dossiers accusant à tort, des personnes comme moi, de vol dans le but d'empêcher ainsi les travailleurs de quitter le pays.

Je n'avais pas de chance

Je m'en suis sorti seulement grâce au soutien de quelques amis Népalais vivant au Qatar. Aucune aide de l'ambassade. Aucun appui de la part de l'employeur ou encore du responsable du recrutement. Juste des Népalais avec un grand cœur.

Ils m'ont beaucoup conseillé sur la démarche à suivre et m'ont offert un trajet en taxi. Ils ont cotisé pour financer mon billet. Ils m'ont appelé pour me dire de garder le moral. Aujourd'hui encore, à Katmandou, mon séjour dans cet hôtel est pris en charge par un compatriote Népalais du Qatar.

À l'étranger, le simple fait d'être Népalais rapproche les gens, qui se mettent alors ensemble pour venir en aide à de simples inconnus – c'est une forme de fraternité impossible à expliquer, une fraternité que je ne pourrai jamais oublier ni honorer.

En dépit de mon infortune, la chance m'a souri à bien d'autres égards. Je suis jeune, j'ai demandé de l'aide et celle-ci est venue spontanément de la part de nombreuses personnes. Cependant, je sais pertinemment que beaucoup de personnes comme moi, vivant une situation encore plus grave, souffrent en silence et se battent.

La situation n'est pas catastrophique pour tout le monde. Je connais d'autres Népalais qui vivent au Qatar depuis des années et sont heureux d'y travailler. C'est comme une loterie, et cette fois, la chance ne m'a pas souri. L'entreprise, dans laquelle j'ai été affecté, s'est révélée être la pire de toutes.

J'ai eu la main heureuse auparavant. J'ai travaillé en Malaisie dans un hôtel pendant trois ans en 2011, et je gagnais 480 dollars américains par mois (57 356 roupies népalaises), ce qui à l'époque représentait une grosse somme d'argent pour moi. À mon retour, j'ai travaillé dans un hôtel au Népal. Mais je devais gagner davantage et cela ne pouvait se faire sans un nouvel emploi à l'étranger. Cette fois, j'ai opté pour le Golfe, mais ce fut un mauvais choix.

Alors que je me trouvais seul dans ma chambre au Qatar pendant ma convalescence et que mes colocataires étaient au travail, je méditais sur beaucoup de choses, j'avais tellement de temps libre. Vous quittez votre maison pour quelques milliers de roupies supplémentaires pour un pays étranger, mais que perdez-vous au passage ?

Des conditions de travail insurmontables

Mon travail au Qatar nécessitait que je me lève à 4 heures du matin pour prendre le bus qui venait nous chercher. Nous emportions de la nourriture préparée la veille, mais parfois elle se gâtait en raison de l'absence de réfrigérateur sur le chantier. Vous ne pouvez pas non plus manger lorsque vous avez faim ; vous mangez uniquement lorsqu'on vous y autorise.

Je devais même demander à mon superviseur l'autorisation d'aller aux toilettes sur le chantier. Le travail se terminait vers 18 heures, mais le temps de rejoindre notre campement, il était 8 heures. Nous devions alors préparer le dîner et notre repas pour le lendemain. Quand nous avions terminé et que nous étions prêts à nous détendre, il était déjà minuit passé et nous nous levions à quatre heures du matin le lendemain.

Cette situation a perduré. Nous avons été déplacés trois fois pendant la courte période de mon séjour. Vous n'avez pas votre mot à dire là-dessus, vous vous contentez de faire ce qui est demandé, de faire ce qu'ils disent.

Je me souviens avoir contemplé des bâtiments luxueux par le passé et avoir souhaité y travailler. Mais il m'a suffi d'une terrible expérience à l'étranger, au Qatar, pour réaliser que ce sont les personnes à l'intérieur de ces bâtiments qui ont de l'importance. Un Népalais travaillant dans ce qu'ils appellent une Wakala (petite boutique) était beaucoup plus heureux que moi.

Alors que je me rétablissais, seul dans ma chambre, impatient de rentrer chez moi, je me disais que jamais plus je n'envisagerais d'émigrer à l'étranger. Que je ferais plutôt quelque chose au Népal même. Je ne saurais expliquer la montée d'adrénaline ressentie lorsque j'ai enfin tenu ma carte d'embarquement entre mes mains à l'aéroport de Doha. C'était une évasion bien planifiée, mais qui aurait pu tourner au vinaigre.

Telle est notre réalité

Cette réalité m'a cependant rattrapé peu de temps après mon retour au Népal. Où est l'emploi ? Que vais-je faire ici ? Qu'est-ce que je vais gagner ? Je dois nourrir ma famille et j'ai des prêts à rembourser. Vous consentez beaucoup de sacrifices pour un emploi à l'étranger, parfois même votre dignité. Mais ces emplois, nous en avons aussi besoin.

Je raconte mon histoire pour que d'autres puissent découvrir mon expérience. Je préfère rester anonyme. En dehors de mon épouse, personne dans ma famille ne sait ce que j'ai vécu à l'étranger. Je souffrais tellement et j'étais si stressé que je ne voyais pas l'intérêt d'inquiéter ma mère malade.

J'ai engagé une bataille avec mon employeur pour récupérer mon argent, et il a fait preuve d'une certaine volonté de collaboration. Il est possible que je sois amené à retourner à l'étranger un jour, et le fait de raconter mon histoire publiquement peut nuire à mes futures candidatures, car je passerai alors pour un « fauteur de troubles ».

Au Qatar, un compatriote népalais, n'ayant pas été payé depuis des mois, a été transféré et accusé d'être un « chef de file » au sein des travailleurs du chantier, pour avoir simplement demandé au directeur une allocation alimentaire en retard.

Voilà notre réalité. Ils préfèrent des personnes discrètes. Celles que l'on peut museler.

https://fr.globalvoices.org/author/veronique-danze/