mardi 6 janvier 2015

Malaisie: le calvaire de "travailleurs forcés" dans les usines électroniques


"Manu" un ouvrier népalais d'une usine de la banlieue de Kuala Lumpur pose le 27 novembre 2014
AFP/AFP - "Manu" un ouvrier népalais d'une usine de la banlieue de Kuala Lumpur pose le 27 novembre 2014





Cumulant des journées de 12 heures dans une usine électronique enMalaisie dans des conditions déplorables, Manu rêve de retourner dans son village pauvre au Népal, mais comme bien d'autres étrangers, ce "travailleur forcé" n'a pas d'échappatoire.
Son passeport a été illégalement confisqué par ses employeurs dans une usine japonaise de la banlieue de Kuala Lumpur, et il a du mal à rembourser la somme élevée qu'il a dû leur verser pour être recruté, dans l'espoir d'une vie meilleure.
Des ONG de défense des droits de l'homme affirment que de tels abus sont courants dans l'industrie électronique en Malaisie, un secteur vital dans la chaîne mondiale de fabrication des composants électroniques pour des grandes marques telles Apple, Samsung, Sony et Hewlett-Packard.
Le secteur de l'électronique représente un tiers des exportations de ce pays d'Asie du Sud-Est. Il est d'autant plus vital à un moment où la chute des prix du pétrole risque d'affecter l'économie de la Malaisie, très dépendante des exportations d'or noir.
Près d'un tiers des 350.000 salariés de l'industrie électronique de ce petit pays de 28 millions d'habitants travaillent dans des conditions proches de l'"esclavage moderne", selon une étude publiée en septembre par l'ONG américaine Vérité.
"Quand je parle à mon père au téléphone, je n'en peux plus de cette situation", explique Manu, un pseudonyme pour le protéger d'éventuelles représailles de ses employeurs.
Jusqu'à 60% des salariés de l'électronique en Malaisie seraient des étrangers vulnérables, issus de pays pauvres, 94% des travailleurs sondés par l'ONG Vérité disant s'être vu confisquer leur passeport.
Le calvaire de Manu a commencé en 2009 lorsqu'il a versé à un agent recruteur au Népal un peu plus de 1.000 euros -- une fortune dans ce pays -- pour obtenir le travail avec une promesse de bon salaire, notamment.
- A l'usine avec une forte fièvre -
Mais depuis, il accumule les déceptions. Manu gagne environ 260 euros par mois -- le tiers de ce qui lui avait été promis -- montant duquel sont déduits des frais dont il n'avait jamais été question. Par exemple une pénalité s'il se plaint ou demande à partir.
De plus, il est obligé d'effectuer des heures supplémentaires presque tous les jours, et quand il est malade, des médecins d'une clinique choisie par ses employeurs lui refusent un arrêt de travail.
"Quand j'avais une forte fièvre pendant cinq jours, les médecins disaient que j'étais apte à travailler", raconte Manu.
La promesse d'être nourri et logé n'a pas été respectée, et des ouvriers sont contraints de vivre jusqu'à 15 dans une seule pièce, avec seulement un cabinet de toilette.
Certains ont raconté à l'AFP avoir travaillé plus de six mois sans un jour de repos. Mais se plaindre ou demander à quitter l'usine peut leur coûter des pénalités illégales.
Contactés par l'AFP, les exploitants de l'usine se sont refusés à tout commentaire. Les ouvriers interrogés ont demandé de ne pas citer le nom de l'entreprise, par peur de représailles.
Une des raisons majeures expliquant ces situations désespérées tient au fait que de nombreux travailleurs sont payés et dirigés par des intermédiaires dans des conditions obscures qui les privent de tout contact direct avec les propriétaires des usines, selon des ONG.
En août, des ouvriers népalais d'une usine ont fait grève pour protester contre la mort d'un travailleur qui n'aurait pas été bien soigné, accusant les responsables de l'usine. Quelques jours plus tard, les meneurs du mouvement ont été transférés dans une autre usine où certains se sont plaints d'atteintes physiques.
Par la suite, des centaines d'ouvriers se sont révoltés, un mouvement social sévèrement réprimé: une quinzaine ont été condamnés à plus d'un an de prison et d'autres ont été expulsés du pays.
Manu quant à lui rêve de retourner chez lui au Népal à la fin de son contrat qui expire l'an prochain, mais il ne pourra peut-être pas: "Je crois que je vais devoir rester pour travailler ici. Ma famille n'a pas d'argent. Je n'ai pas le choix".