e 10 janvier dernier, lors d'une interview donnée au Financial Times, le guide autrichien Lukas Furtenbach, spécialiste des expéditions commerciales en Himalaya, a annoncé vouloir utiliser le xénon, un gaz rare aux effets dopants, pour proposer à quelques clients VIP de gravir l'Everest en une semaine. L'affaire a fait grand bruit dans le milieu mais 36 ans plus tôt, un certain Éric Escoffier avait déjà tenté le coup en 15 jours, grâce à une préacclimatation en caisson hyperbare. Retour sur l'expédition « Everest Turbo » de l'automne 1989.
Escoffier, le précurseur pressé
Remplacer l'acclimatation par une séance d'une demi-heure d'inhalation de xénon dans une clinique de Katmandou et filer au sommet de l'Everest. C'est ce que propose le guide autrichien Lukas Furtenbach à ses clients qui devront débourser 150 000€ pour espérer atteindre le Toit du monde moins d'une semaine après leur arrivée au Népal : «
Ce n'est pas scandaleux, ce n'est pas de la magie, ce n'est pas dangereux, ce n'est pas illégal et ce n'est pas du dopage,
a-t-il réagi suite au bad buzz généré par l'article du
Financial Times. C'est juste de la préparation, de la formation, de la détermination, de la science et cela s'appelle le progrès. Et le progrès entraine toujours des réactions. Ça fait partie du jeu. Nous sommes impatients de réinventer les expéditions guidées à l'Everest. »
Avec le xénon, l'himalayisme commercial entre peut-être dans une nouvelle ère qui ne manque pas de soulever des questions d'éthique mais l'idée de réduire la durée d'une expédition himalayenne en s'épargnant la longue et fastidieuse période d'acclimatation n'a rien de nouveau. Il n'est pas rare de voir des himalayistes utiliser la préacclimatation en tente hypoxie avant de partir en expédition. En 1989, Éric Escoffier avait déjà eu l'idée de solliciter la médecine et la science pour tenter de gravir l'Everest en moins de 15 jours avec un projet aussi ambitieux que novateur baptisé « Everest Turbo ».
Acclimatation grenobloise
Le 11 septembre 1987, Éric Escoffier se crashe au volant de sa 205 GTI quelque part entre Ugine (73) et Chamonix (74). L'alpiniste qui brûlait la vie par les deux bouts est vivant mais dans un sale état : traumatisme crânien, multiple fractures... La rééducation promet d'être longue et douloureuse. Mais un an plus tard, il est sur pied et prêt à repartir à l'aventure, comme avant, à 200 à l'heure. Et le voilà qui se propose de tenter un Paris-sommet de l'Everest-Paris en moins de 15 jours. Comment ? Grâce à une préacclimatation au mont Blanc et un séjour en caisson hyperbare à Grenoble.
Motivé comme jamais, il embarque avec lui Christine Janin, une jeune médecin qui cherche à devenir la première française sur le Toit du monde, mais aussi Michel Fouquet, Stéphane Schaffter, Fred Ancey et Eric Bellin. La tentative est prévu pour le mois de septembre 1989 mais l'expédition commence bien plus tôt, sur les pentes du mont Blanc, entre 4 000 et 4 800 mètres, où « les Turbos » effectuent des tests hypoxie en pédalant sur un vélo d'appartement, près de l'observatoire Vallot, sous l'œil du docteur Herry qui supervise l'expérience scientifique et vérifie la production des globules.
L'étape suivante se passe quelques jours plus tard à Grenoble, où les alpinistes transformés en rats de laboratoire pédalent pendant plusieurs heures dans un gros caisson hyperbare qui simule les effets de la très haute altitude, sous les encouragement d'une équipe de médecins qui enregistre de précieuses données scientifiques. Puis vient l'heure du départ pour l'Himalaya et le versant tibétain de l'Everest qui va accueillir cette tentative totalement expérimentale.
36 ans avant le xénon, l'expédition « Everest Turbo » d'Éric Escoffier
Par Thomas Vennin
Publié le 27 janvier 2025 à 12:46
Le 10 janvier dernier, lors d'une interview donnée au Financial Times, le guide autrichien Lukas Furtenbach, spécialiste des expéditions commerciales en Himalaya, a annoncé vouloir utiliser le xénon, un gaz rare aux effets dopants, pour proposer à quelques clients VIP de gravir l'Everest en une semaine. L'affaire a fait grand bruit dans le milieu mais 36 ans plus tôt, un certain Éric Escoffier avait déjà tenté le coup en 15 jours, grâce à une préacclimatation en caisson hyperbare. Retour sur l'expédition « Everest Turbo » de l'automne 1989.
© Collection Escoffier - Source : Éric Escoffier, un grand combat (Jean-Michel Asselin, Guérin, 2015)
Escoffier, le précurseur pressé
Remplacer l'acclimatation par une séance d'une demi-heure d'inhalation de xénon dans une clinique de Katmandou et filer au sommet de l'Everest. C'est ce que propose le guide autrichien Lukas Furtenbach à ses clients qui devront débourser 150 000€ pour espérer atteindre le Toit du monde moins d'une semaine après leur arrivée au Népal : «
Ce n'est pas scandaleux, ce n'est pas de la magie, ce n'est pas dangereux, ce n'est pas illégal et ce n'est pas du dopage,
a-t-il réagi suite au bad buzz généré par l'article du
Financial Times. C'est juste de la préparation, de la formation, de la détermination, de la science et cela s'appelle le progrès. Et le progrès entraine toujours des réactions. Ça fait partie du jeu. Nous sommes impatients de réinventer les expéditions guidées à l'Everest. »
Avec le xénon, l'himalayisme commercial entre peut-être dans une nouvelle ère qui ne manque pas de soulever des questions d'éthique mais l'idée de réduire la durée d'une expédition himalayenne en s'épargnant la longue et fastidieuse période d'acclimatation n'a rien de nouveau. Il n'est pas rare de voir des himalayistes utiliser la préacclimatation en tente hypoxie avant de partir en expédition. En 1989, Éric Escoffier avait déjà eu l'idée de solliciter la médecine et la science pour tenter de gravir l'Everest en moins de 15 jours avec un projet aussi ambitieux que novateur baptisé « Everest Turbo ».
Acclimatation grenobloise
Le 11 septembre 1987, Éric Escoffier se crashe au volant de sa 205 GTI quelque part entre Ugine (73) et Chamonix (74). L'alpiniste qui brûlait la vie par les deux bouts est vivant mais dans un sale état : traumatisme crânien, multiple fractures... La rééducation promet d'être longue et douloureuse. Mais un an plus tard, il est sur pied et prêt à repartir à l'aventure, comme avant, à 200 à l'heure. Et le voilà qui se propose de tenter un Paris-sommet de l'Everest-Paris en moins de 15 jours. Comment ? Grâce à une préacclimatation au mont Blanc et un séjour en caisson hyperbare à Grenoble.
Motivé comme jamais, il embarque avec lui Christine Janin, une jeune médecin qui cherche à devenir la première française sur le Toit du monde, mais aussi Michel Fouquet, Stéphane Schaffter, Fred Ancey et Eric Bellin. La tentative est prévu pour le mois de septembre 1989 mais l'expédition commence bien plus tôt, sur les pentes du mont Blanc, entre 4 000 et 4 800 mètres, où « les Turbos » effectuent des tests hypoxie en pédalant sur un vélo d'appartement, près de l'observatoire Vallot, sous l'œil du docteur Herry qui supervise l'expérience scientifique et vérifie la production des globules.
L'étape suivante se passe quelques jours plus tard à Grenoble, où les alpinistes transformés en rats de laboratoire pédalent pendant plusieurs heures dans un gros caisson hyperbare qui simule les effets de la très haute altitude, sous les encouragement d'une équipe de médecins qui enregistre de précieuses données scientifiques. Puis vient l'heure du départ pour l'Himalaya et le versant tibétain de l'Everest qui va accueillir cette tentative totalement expérimentale.
Christine Janin, Éric Escoffier, Stéphane Schaffter et Michel Fauquet à Grenoble devant le caisson hyperbare © Collection Escoffier
La météo contre « les Turbos »
Au camp de base, Escoffier et ses compagnons retrouvent d'autres Français qui sont déjà là depuis trois semaines, les 21 membres de l'expédition « Altitude extrême » menée par Claude Jaccoux et Michel Vincent. Ils profitent de leur logistique pour monter installer un camp au col nord et un autre un peu plus haut. À cause des séquelles de son accident, Escoffier n'a plus le pied très sûr en montagne mais il progresse sans utiliser d'oxygène supplémentaire, comme les autres : « À chaque pas, il doit constamment pousser très fort sur ses bras et il dépense beaucoup plus d'énergie que nous finalement. C'est un sacré exemple de volonté », dit Christine Janin dans le film de l'expédition ramené par le cinéaste Bernard Germain.
« C'est un sacré exemple de volonté. »
Christine Janin
L'acclimatation à la maison semble porter ses fruits et les Turbos parviennent rapidement et sans encombre jusqu'à 7 800 mètres où ils installent un camp qui doit leur servir de rampe de lancement vers le sommet. C'était sans compter sur les caprices de la météo qui ne les laissera pas monter beaucoup plus haut. Malgré toute la volonté des uns et des autres, l'expédition « Everest Turbo » est un échec et pour beaucoup, il est clair que depuis son accident, Éric Escoffier n'est plus le grand alpiniste qui défiait Christophe Profit dans les faces nord des Alpes : «
Je crois qu'au sortir du centre de rééducation, Éric est entré dans une longue période de dépression, que personne ne s'en est aperçu et que cela s'est manifesté sourdement par le refus de percevoir l'exposition au danger, pour les autres comme pour lui », dira son ami Christophe Vaillant, cité par Jean-Michel Asselin dans
son livre Eric Escoffier, un grand combat (Guérin, 2015).
Éric Escoffier retournera pourtant à l'Everest en 1991 avec son frère Rémi, sans plus de succès. Il disparaîtra mystérieusement 9 ans plus tard sur les pentes sommitale du Broad Peak, au Pakistan. Christine Janin, elle, deviendra finalement la première française sur le Toit du monde le 5 octobre 1990, après une longue expédition et une acclimatation classique sur la montagne.